Dans l’immensité de l’Océan, les scientifiques suivent les jeunes tortues à la trace

Les jeunes tortues caouannes sont particulièrement vulnérables à l'étourdissement par le froid en raison de leur petite taille et parce qu’elles ne régulent pas leur température corporelle ; celle-ci peut rapidement baisser en même temps que la température de l’eau. Quand les tortues juvéniles échouées peuvent être soignées et réhabilitées, l’occasion est trop belle d'avoir un aperçu de leur vie en mer en les équipant de balises satellites miniatures au moment de leur retour à l’Océan.

L’initiative « Lost Years » (les années perdues) d’Upwell vise à comprendre comment les tortues juvéniles utilisent leur habitat océanique. Depuis 2020, l’ONG a déployé différents modèles de balises microsatellites Lotek – la plus petite ne pesant que 2,5 grammes – sur des tortues juvéniles en partenariat avec des institutions engagées dans la conservation des tortues marines dans le monde entier. À l’été 2024, un travail commun avec l’Aquarium La Rochelle a été mené dans le cadre de cette initiative.

 

Le Centre d’Études et de Soins pour les Tortues Marines (CESTM) de l’Aquarium La Rochelle reçoit les tortues signalées en détresse par un réseau qu’il coordonne sur toute la côte Manche-Atlantique française. Dès leur arrivée au Centre, ces tortues, souffrant principalement d’hypothermie, de dénutrition (qui peut être liée à l’ingestion de plastique), ou de blessures dues à des collisions avec des navires, reçoivent tous les soins nécessaires à leur réhabilitation. Le CESTM soigne et étudie les tortues marines dans le but de les réintroduire dans leur milieu naturel et d’améliorer les connaissances sur ces animaux marins menacés. En 2024, 138 tortues marines ont été réhabilitées à l’Aquarium La Rochelle avant d’être remises à l’Océan.

Le golfe de Gascogne peut se transformer en piège pour les tortues marines. Pendant les mois chauds, la température de l’eau et l’abondance des nutriments créent un environnement qui leur est favorable, mais en hiver, les températures peuvent chuter jusqu’à 10°C, ce qui peut leur être mortel. Le CESTM a déjà mené des recherches pour en savoir plus sur les tortues après leur remise en liberté, en utilisant des balises satellites pour suivre 28 tortues entre 2008 et 2020. Lors de cette expérience, les tortues ont eu des trajectoires surprenantes, les plus grosses semblant nager vers l’ouest, peut-être vers des habitats de nidification, tandis que les plus petites restaient sur place pour chercher de la nourriture dans les eaux plus froides (et plus nutritives) de la baie. Ces observations ont mené l’équipe du CESTM vers d’autres questionnements sur la manière dont les tortues marines de différentes tranches d’âge utilisent l’habitat du golfe de Gascogne.

 

 

George Shillinger, directeur général d’Upwell, a vu dans les jeunes tortues réhabilitées au CESTM des candidates parfaites à la pose de balises microsatellites de Lotek, ces balises pouvant aider à répondre à de nombreuses questions de l’équipe de l’Aquarium La Rochelle. Il a invité le CESTM à se joindre à l’initiative Lost Years. Cette collaboration a été facilitée par le partenariat permanent d’Upwell avec le chercheur Philippe Gaspar de Mercator Ocean International, qui travaille avec Upwell sur des projets liés au modèle de mouvement actif des tortues de mer de Mercator. Le coup d’envoi a été donné avec le marquage de dix premières tortues caouannes juvéniles.

« Nous sommes ravis que l'Aquarium La Rochelle se joigne à l'initiative Lost Years et nous attendons avec impatience les prochaines sorties qui nous permettront de mieux comprendre où vont ces tortues et d'utiliser ces informations pour faire progresser les efforts de gestion et de conservation ».

George Shillinger, Upwell

L’équipe de l’Aquarium a par la suite accueilli George Schilinger à La Rochelle. Il y a été rejoint par des collaborateurs de l’initiative Lost Years dont Tony Candela, océanographe et modélisateur de l’écosystème marin pour Upwell, Mercator Ocean International et l’Aquarium La Rochelle, et Frederic Vandeperre, coordinateur du projet COSTA (Université des Açores Okeanos Institute).

Avec Florence Dell’Amico, responsable du CESTM, ils ont préparé les balises et en ont équipé les tortues. Par le passé, les tortues ayant fait l’objet des recherches par le CESTM pesaient entre 1,8 et 93,2 kilogrammes ; grâce aux balises microsatellites de Lotek permettant de suivre des tortues encore plus petites, les tortues que le CESTM a balisées et relâchées en partenariat avec Upwell pesaient seulement entre 482 grammes à 1,326 kilogramme !

Il a été décidé de donner à ces tortues, qui avaient été sauvées d’échouages en mer et sur terre, des noms de scientifiques européens célèbres (Darwin, Rosalind Franklin, Marie Curie, Lavoisier…). Une fois les tortues marquées, l’équipe s’est rendue à 40 km au large pour les ramener dans leur habitat océanique. Les cartes ci-dessous montrent les trajectoires satellitaires des tortues depuis leur remise en liberté le 24 juillet 2024. Les traces sont superposées sur un fond indiquant la vitesse du courant de surface et les températures moyennes de l’eau pendant la période de suivi.

 

À ce jour, la performance des balises déployées à La Rochelle est sans précédent : 80 % des balises transmettent encore après 70 jours ! Elles fournissent pour la première fois des données sur les déplacements des tortues caouannes de cet âge et de cette (petite) taille. Au cours des deux derniers mois, les tortues ont fait preuve d’un large éventail de comportements, allant de la stagnation dans la baie à la direction du sud vers l’Espagne ou de l’ouest vers l’Atlantique. Elles ont effectué des plongées étonnamment profondes pour des tortues d’un si jeune âge.

 

« Depuis 35 ans, le CESTM réhabilite et relâche des tortues marines juvéniles trouvées échouées ou en détresse en mer sur les côtes françaises de l'Atlantique et de la Manche. En 2008, nous avons commencé à déployer des balises satellites pour mettre en évidence leur comportement dans le golfe de Gascogne, leur taux de survie après leur libération et pour décrire les années perdues. Il est passionnant de s'associer à Upwell et de suivre les plus petites tortues que nous n'avons jamais pu suivre auparavant. Comme nous ne savons pas ce qu'elles font une fois en mer, chaque petit élément d'information peut s'avérer très utile ! »

Florence Dell'Amico, responsable du CESTM

Voici un aperçu du parcours de deux tortues :

 

 

Gallilée
Nommée en l’honneur du scientifique italien Galileo Galilei, Galilée a rejoint l’Aquarium La Rochelle après avoir s’être échouée sur la plage de Pornic en avril. Galilée pesait 1 036 g et avait une longueur de carapace droite de 18,2 cm avant d’être relâchée. Nageuse la plus rapide, Galilée a parcouru 1 313,4 km en 70 jours. Après avoir été relâchée, elle s’est dirigée directement vers le sud-ouest et a quitté le golfe de Gascogne pour atteindre rapidement l’océan Atlantique Nord. Cette tortue a passé environ 77% de son temps sous l’eau et principalement (97%) dans les 5 premiers mètres sous la surface de l’océan. Cependant, il semble que Galilée ait effectué des plongées profondes, atteignant une moyenne d’environ 19 mètres par jour, avec un record à près de 70 mètres !

 

 

Archimède
Nommée d’après le mathématicien et physicien grec, Archimède a été recueillie par l’Aquarium après avoir été trouvée échouée sur l’île de Ré en mai. C’est l’une des plus petites tortues : 546 g pour 15,3 cm de longueur de carapace droite avant d’être relâchée. Archimède n’a pas voyagé autant que Galilée, parcourant « seulement » 762,9 km sur la même période. Après avoir été relâchée, Archimède s’est dirigée vers le Sud à environ 60 km de la côte atlantique française et est restée sur ou près du plateau continental jusqu’à ce qu’elle atteigne la côte Nord de l’Espagne. De là, elle s’est déplacée vers l’Ouest le long du plateau continental, a fait une petite boucle avec le courant mais est restée dans le Golfe de Gascogne et le long de la côte Nord de l’Espagne.

Les données fournies par ces balises sont analysées par Tony Candela qui, en plus de son rôle de chercheur océanographique pour Upwell, prépare un doctorat à l’Université de Toulouse. L’équipe de supervision de Tony comprend le Dr George Shillinger, le Dr Fred Vandeperre, Florence Dell’Amico et le Dr Patrick Lehodey (Mercator Ocean International). Tony étudie les données de localisation de chaque tortue, associées à des données environnementales en temps réel, telles que les courants océaniques ou la température de l’eau environnante, pour tenter de comprendre les raisons de leurs déplacements.

Tony examine également les déplacements de tortues caouanes relâchées à La Rochelle dans le cadre plus large de l’initiative Lost Years. Cette initiative collaborative comprend des lâchers de jeunes tortues caouannes dans l’archipel des Açores avec le projet COSTA, au Portugal continental avec Zoomarine Algarve, en Afrique du Sud avec Two Oceans Aquarium et en Floride avec Florida Atlantic University, tous travaillant ensemble pour comprendre les mouvements, la dispersion et l’utilisation de l’habitat des tortues caouannes de l’Atlantique Nord.

 

Tirer des conclusions prend du temps,

mais chaque balise déployée et chaque ensemble de données apporte une nouvelle petite pièce au puzzle que représente le temps passé en mer par les tortues juvéniles. Il est essentiel de mieux comprendre ce mystère pour atténuer les menaces liées à l'homme et mieux protéger les tortues juvéniles à ce stade précoce de leur existence.

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